Fils de roi, fils d'orfèvre ...
Plus jamais, je n'entendrai sa voix puissante.
Plus jamais je ne chevaucherai à ses côtés.
Plus jamais, il ne me confiera ses rêves de gloire.
Aujourd'hui, en ce 27 novembre 511, mon ami, mon maître, Clovis le Grand, a rendu son âme à Dieu.
Il ne me reste que mes souvenirs et son histoire.
UN ENFANT DE L'AMOUR
...
Tel fut mon compagnon de toujours...
Comment imaginer que ce guerrier brutal, emporté, sans pitié, naquit dans des circonstances terriblement romanesques.
Si je peux vous les conter, moi, Aurélien, c'est que mes parents ne se lassaient pas de me les faire revivre ...
Retournons dans les années 460 ...
Childéric (525-584) succédait depuis peu à son père, Mérovée (550-577), à la tête des Francs saliens de Tournai.
Son petit royaume s'étendait entre Meuse et Escaut et le nouveau roi, contrairement à la coutume, voulait régner seul.
Sa famille, les nobles de son entourage ne le voyaient pas de cet œil et menaçaient sa vie.
Peut-être aussi certains maris étaient-ils las de se voir enlever leurs épouses car Childéric était un séducteur impénitent !
Il
dut
fuir
et
fut
accueilli
à
bras
ouverts,
en
Thuringe,
par
le
roi
Basin
et
surtout,
surtout,
par
la
reine
Basine
(438-477)
qui
l'entoura
de
toutes
ses
attentions.
Comment résister à ce colosse blond, aux yeux clairs et aux fières moustaches ?
Quand l'exilé fut rappelé par ses sujets et qu'il repartit vers ses terres, Basine fut désespérée.
Quelques mois passèrent et un jour, n'y tenant plus, elle abandonna tout et se lança sur les routes.
Seuls, deux fidèles serviteurs l'accompagnèrent, Agnès et Gontrand, mes futurs parents.
Ils étaient fiancés depuis peu.
Selon
la
tradition,
devant
leurs
familles
consentantes,
ils
avaient
échangé
un
baiser
(sur
la
joue
!)
et
Gontrand
avait
passé
un
anneau
d'argent
au
doigt d'Agnès.
Il lui avait offert des bijoux, des friandises et...une paire de pantoufles.
Eh oui ! C'était l'usage !
Un
avenir
heureux
s'ouvrait
devant
eux
et,
pourtant,
ils
allaient
suivre
cette
reine
amoureuse,
conscients
(ou
non)
qu'ils
laissaient
derrière
eux
la
promesse d'une vie sereine, sans savoir quel accueil leur serait réservé à Tournai.
Et si Childéric n'était plus sensible aux charmes de Basine ?
L'homme, tellement volage, pouvait avoir oublié la jeune femme.
Mais non, il fut ravi et aussitôt épousa Basine qui, toujours, protégea ceux qui avaient tout quitté pour l'escorter.
Leur mariage fut bientôt célébré, richement doté par la nouvelle reine.
Destins parallèles, la même année, en 465, naquirent deux garçons : Clovis, le fils du roi et moi, Aurélien, le fils de l'orfèvre venu de Thuringe.
Dès lors, nous ne nous quittâmes plus jusqu'à ce jour funeste de novembre.
L'ADOLESCENCE D'UN CHEF
.
Notre enfance insouciante se déroula au gré des pérégrinations de la cour royale, entre Tournai, Amiens et Paris.
Paris
où,
souvent,
nous
rencontrions
Geneviève,
une
dame
lumineuse,
toujours
vêtue
de
blanc
qui,
en
451,
avait
incité
sa
ville
à
résister
aux
Huns
d'Attila, grâce à l'aide de son Dieu... si mystérieux pour nous.
Longuement,
Childéric
s'entretenait
avec
elle
et,
sous
son
influence,
lui,
le
"barbare",
le
cruel,
accordait
sa
grâce
à
des
condamnés
à
mort
ou
libérait des prisonniers.
Si le roi était attentif, Clovis, lui aussi, écoutait, impressionné par cette femme hors du commun.
Jamais il ne l'oubliera.
Ces
moments
de
quiétude
furent
trop
rares
dans
notre
éducation
plutôt
"guerrière",
Fils
de
roi,
Clovis
était
destiné
à
devenir,
avant
tout,
un
chef
de guerre, digne de la vaillance de ses ancêtres.
Naturellement, comme nous étions inséparables, j'appris avec lui l'art militaire.
On nous enseigna à manier les armes.
L'épée
;
l'angon,
ce
javelot
redoutable
avec
sa
pointe
de
fer
en
forme
de
harpon;
le
scramasaxe,
le
lourd
sabre
à
un
seul
tranchant
et,
surtout,
la
hache.
Réussir à la lancer correctement fut long et difficile.
Il nous fallut surtout apprendre à maîtriser la longueur de son jet.
En effet, une fois lancée, la francisque tournoyait dans l'air et ne frappait sa cible qu'à une distance très précise, variable selon chaque arme.
Pour abattre un adversaire à coup sûr, nous devions donc être capables d'estimer au plus juste les distances, presque instinctivement.
Pendant
l'entraînement,
pour
fortifier
nos
âmes,
nous
entonnions
des
chants
violents,
célébrant
les
exploits
des
grands
héros
francs
comme
Clodion le chevelu ou Mérovée, les aïeux légendaires de Clovis.
Quand
nous
eûmes
douze
ans,
l'âge
de
notre
majorité
officielle,
on
nous
remit
notre
monture,
nos
armes
personnelles
devant
la
cour
assemblée,
mais la cérémonie se terminera différemment pour l'un et l'autre.
Si on me coupa les cheveux, signe de mon entrée dans le monde des adultes, il ne fut pas question de sacrifier la chevelure blonde de Clovis.
Sans elle, il aurait perdu tout espoir d'être roi un jour.
Elle était la marque de sa filiation divine et seuls les descendants des dieux pouvaient gouverner les hommes ...
D'ailleurs ne suffisait-il pas de raser le crâne d'un prétendant pour l'écarter définitivement du trône.
Même
s'il
en
avait
déjà
conscience,
c'est
vraiment
à
dater
de
ce
moment
que
Clovis
sut,
qu'un
jour,
il
serait
le
maître
et
que
rien
ne
l'arrêterait
pour imposer son autorité.
Le moment de réaliser ses ambitions se présenta trois ans plus tard ...
En 481, à la mort de Childéric, Clovis fut hissé sur le pavois par ses guerriers, signe qu'ils le désignaient comme leur nouveau chef.
Son premier acte de roi fut d'ordonner les funérailles solennelles de son père en lui rendant tous les honneurs dus à son rang.
On inhuma le défunt avec l'anneau portant son sceau, son angon, son épée, son scramasaxe.
On
le
drapa
dans
le
grand
manteau
pourpre
des
généraux
romains
(il
avait
servi
Rome,
notamment
en
451,
aux
Champs
Catalauniques,
en
soutenant le proconsul
Aetius contre les hordes d'Attila).
On
plaça
dans
sa
chambre
funéraire,
construite
à
l'aide
de
planches
calées
par
des
pierres,
des
centaines
de
pièces
d'or
et
d'argent
et
une
profusion de bijoux dans lesquels mon père, Gontrand, avait mis tout son art.
Il avait fabriqué des bracelets cloisonnés, décorés de plaquettes de grenat et de verre coloré.
De délicates fibules, ces broches-épingles aux fins motifs d'or torsadé et un nombre considérable de cigales en or, symboles d'immortalité.
On sacrifia une vingtaine de chevaux qu'on disposa en cercle autour de la sépulture que l'on dissimula sous un vaste tumulus.
Si Clovis veilla au respect scrupuleux de la tradition franque, c'était simplement parce qu'il devait en être ainsi.
Ne croyez pas qu'il vouait une affection particulière à son père et qu'il était affligé.
Au contraire, il ne voyait dans cette mort qu'une formidable opportunité.
Elle lui ouvrait les portes du pouvoir. ..
Dès lors, il n'eut plus qu'un but : agrandir son petit royaume par tous les moyens, même les plus inavouables ... !
Mon compagnon n'était pas de ceux qui agissent à la légère.
Faisant preuve d'une intelligence politique précoce, il voulut s'informer et comprendre. Que se passait-il hors des frontières de ses états ?
Cette Gaule qui aiguisait tant son appétit conquérant était une vraie mosaïque.
A
l'Ouest,
en
Bretagne,
les
Armoricains
à
l'Est,
entre
Vosges
et
Rhin,
les
Alamans
au
Sud-est,
dans
les
vallées
du
Rhône
et
de
la
Saône,
les
Burgondes au Sud-ouest, entre Loire et Pyrénées, les Wisigoths.
Et entre Somme et Loire, les lambeaux de l'empire romain, aux mains de l'incapable Syagrius... le maillon faible !
C'est là qu'il fallait frapper ...
JUSQU'À LA LOIRE
...
Des précautions étaient à prendre.
D'abord, ne pas risquer une attaque au Nord pendant que nos troupes descendraient vers le Sud.
Clovis s'allia donc avec les Ripuaires, installés au-delà du Rhin.
Pour sceller cette alliance, il n'hésita pas à épouser, en 485, la fille du roi de Cologne, bien plus âgée que lui.
La
cérémonie
ne
fut
pas
publique
et
par
conséquent,
ce
ne
fut
qu'un
mariage
de
second
rang,
assimilé
à
un
concubinage
dans
nos
sociétés
germaniques.
L'enfant, qui naquit très vite, aurait dû être un bâtard écarté de la succession.
Clovis, en bon père, ne le voulut jamais et Thierry fut toujours considéré comme légitime et eut le rang d'aîné dans la fratrie.
L'affaire rhénane réglée, un autre problème se posait.
Notre armée n'était pas assez nombreuse.
Clovis,
en
leur
faisant
miroiter
de
beaux
butins,
obtint
l'aide
de
ses
cousins
qui
possédaient
de
petits
royaumes
au
Nord
:
Ragnacaire
à
Cambrai,
Chararic à St Quentin, Rigomaire au Mans.
En 486, l'attaque fut lancée et la rencontre eut lieu à Soissons.
Bien vite, nos guerriers francs prirent l'avantage.
Syagrius s'enfuit et se réfugia auprès des Wisigoths qu'il pensait ses alliés ...
Mais gagner une bataille, ne voulait pas dire être seul maître d'un territoire.
Vos alliés ne risquaient-ils pas de vous demander des comptes ?
Comment éviter un tel danger ?
C'est
à
cette
occasion
que
la
cruauté
et
l'absence
de
scrupules,
que
je
savais
latentes
chez
Clovis,
apparurent.
Ragnacaire,
Chararic
et
son
fils,
Rigomaire furent assassinés et le malheureux Syagrius que les Wisigoths nous avaient livré, fut retrouvé égorgé dans sa prison.
Je ne voulus jamais savoir si ce fut Clovis lui-même qui accomplit le geste fatal.
Je l'aimais trop pour le juger, même lorsqu'il se montrait si inhumain ...
Si
réduire
les
chefs
au
silence
fut
relativement
facile,
le
plus
difficile
restait
à
accomplir.
Imposer
son
autorité
et
pacifier
un
vaste
territoire
s'étendant jusqu'à la Loire.
Comment se faire respecter par des populations gallo-romaines, chrétiennes, apeurées devant ce Franc païen, réputé impitoyable ?
Une fois encore son habileté et sa capacité à analyser les situations permirent à Clovis de surmonter l'obstacle.
Il comprit très vite qu'il devait gagner à sa cause ceux qui avaient pallié la déliquescence de l'Etat romain.
Ceux qui avaient fait fortifier les fermes et les cités afin de repousser les attaques des envahisseurs et des pillards.
Ceux qui soignaient les malades lors des épidémies de peste, de dysenterie ou de variole.
Ceux
qui
distribuaient
des
vivres
quand
les
pluies
diluviennes,
les
averses
de
grêle,
le
gel
ou
la
sécheresse
avaient
détruit
les
récoltes
et
que
sévissaient la disette et la famine.
Ceux qui recueillaient les orphelins, secouraient les pauvres, protégeaient les esclaves en fuite…
Les évêques.
Pour
se
les
concilier,
notre
subtil
diplomate,
manifesta
ostensiblement
son
respect
devant
les
lieux
de
culte
et,
dans
la
mesure
du
possible,
essaya
de les préserver du pillage, "normal" par tradition, dès que des guerriers se trouvaient en terrain conquis.
D'ailleurs, une anecdote qui, j'en suis certain, fera date, montre bien le souci qu'avait Clovis de ménager et de satisfaire les membres du clergé.
L'événement se déroula à Soissons lors du partage du butin amassé pendant la campagne de l'été 486.
Comme
la
coutume
franque
l'exigeait,
chaque
objet
devait
être
tiré
au
sort
entre
tous
les
guerriers,
leur
chef
n'étant
pas
plus
privilégié
que
les
autres.
Malgré
tout,
Clovis
demanda
qu'on
lui
accorde,
sans
tirage
au
sort,
un
vase
précieux
qu'il
avait
l'intention
de
restituer
à
Rémi,
l'évêque
de
Reims,
qui y était particulièrement attaché.
Nous fûmes tous d'accord, sauf l'un d'entre nous qui, pour montrer son opposition, tenta de briser le vase d'un coup de francisque ...
Comme le vase était en métal, il résista.
Ne restaient que le geste et l'intention.
Clovis n'eut aucune réaction ...
Au
printemps
suivant,
comme
il
nous
passait
en
revue,
il
se
retrouva
face
au
soldat
rebelle
dont
il
jeta
les
armes
au
sol,
au
prétexte
qu'elles
étaient
mal entretenues.
Quand l'homme se pencha pour les ramasser, Clovis lui brisa la nuque d'un coup de hache ... "en souvenir du vase de Soissons !".
Interloqué devant ce corps sans vie, je fus sans doute le seul à saisir le double message contenu dans cet acte brutal.
Clovis
voulait
montrer
son
attachement
à
la
parole
donnée
à
un
évêque
et
surtout,
il
voulait
s'affirmer,
non
comme
un
simple
chef
de
guerre,
mais
comme un "roi" dont on ne discutait pas les volontés.
En cette année 487, Clovis aurait pu se contenter de ses victoires, mais c'était mal le connaître.
Sa soif de pouvoir n'était pas assouvie.
Il avait encore beaucoup de terres à conquérir et aussi une descendance à assurer.
Je vous conterai prochainement comment il arriva à ses fins ...
Fils de roi, fils d'orfèvre ...
À Paris, la nouvelle capitale, dans la crypte de la basilique des Saints-Apôtres, Pierre et Paul, se déroule lentement la cérémonie des funérailles ...
Dans son sarcophage de marbre, Clovis repose pour l'éternité.
Près de lui, Clotilde, son épouse, pleure.
Comment adoucir sa douleur ?
Je me sens impuissant.
Soudain, bercé par les chants et les vapeurs d'encens, mon esprit s'égare.
J'oublie la triste réalité et je les revois, tous deux ardents, vivants à l'automne 493.
DE LA RAISON À L'AMOUR ...
En ce mois de novembre, Soissons, en fête, pavoisait Clotilde, la belle princesse burgonde, devenait l'épouse officielle de Clovis.
Enfin ! Car rien ne fut simple avant que cette union ne soit consacrée.
Tout avait commencé au printemps 492.
A
cette
époque,
il
devint
évident
que
s'il
voulait
asseoir
son
pouvoir
et
donner
une
chance
à
son
royaume
de
perdurer,
Clovis
devait
s'assurer
une
solide descendance mâle.
Bien sûr, il avait déjà un fils, Thierry.
Mais ses guerriers le considéraient comme un bâtard puisque né d'un mariage de second rang, un "concubinage".
Il lui fallait donc obtenir la main d'une jeune fille capable de lui donner de beaux enfants, mais cela ne suffisait pas à mon compagnon d'armes.
Il fallait aussi que cette jeune fille soit bien née et que leur union soit "profitable".
Le conquérant convoitait encore beaucoup de territoires et il avait besoin d'alliés puissants.
C'est
ainsi
qu'il
s'intéressa
à
la
nièce
de
Gondebaud,
roi
des
Burgondes.
Clotilde,
qui
détestait
son
oncle,
assassin
de
ses
parents
et
de
ses
frères,
avait la réputation d'être cultivée, douce et belle.
Après tout, autant joindre l'agréable à l'utile.
De plus, elle était chrétienne et les évêques qui entouraient notre chef l'encouragèrent dans son projet.
Peut-être serait-elle capable de convertir ce barbare païen et d'en faire le protecteur de l'Eglise ?
Aussitôt, Clovis me chargea, moi, Aurélien, en qui il avait entière confiance, d'obtenir le double consentement de Clotilde et de Gondebaud.
Je
partis
pour
Valence
et,
déguisé
en
mendiant
pour
ne
pas
attirer
l'attention,
j'approchai
la
princesse,
un
soir,
où
elle
distribuait
les
aumônes
à
la
porte du palais.
Je lui remis l'anneau du roi en gage de la vérité de mon ambassade et lui fis part de la demande en mariage de mon maître.
Elle accepta d'emblée car elle craignait pour sa vie : Gondebaud semblait regretter de ne pas l'avoir exterminée avec le reste de sa famille.
Je
rejoignis
rapidement
Genève,
résidence
du
roi
burgonde,
qui,
bien
que
surpris
et
mécontent,
n'osa
pas
irriter
son
ombrageux
voisin
et
donna
son accord.
Clovis étant impatient de convoler, on organisa très vite le départ de sa fiancée.
On entassa sur des chars les trésors qui constituaient sa dot et l'on se mit en route au pas lent des bœufs.
Le
convoi
était
encore
loin
des
frontières
de
la
Burgondie,
quand
un
cavalier
vint
avertir
Clotilde
que
son
oncle
reprenait
son
consentement
et
refusait qu'elle quitte ses états.
Affolée, elle comprit qu'elle devait fuir coûte que coûte.
Elle abandonna tout et sauta à cheval.
Je l'escortai dans sa folle chevauchée.
Après cinq jours épuisants, nous étions saufs, en terre franque.
Une
semaine
plus
tard,
nous
arrivions
à
Soissons
et
en
voyant
son
sourire,
je
sus
que
Clovis
était
immédiatement
tombé
sous
le
charme
de
cette
intrépide amazone aux yeux verts ...
En 494, naissait Ingomer, l'héritier légitime tant désiré ...
LE CHEMIN DE LA CONVERSION ...
Il fut long à parcourir et jalonné d'étapes souvent incertaines.
La première fut la plus douloureuse.
Clovis qui ne savait rien refuser à Clotilde lui permit de faire baptiser leur premier né.
La cérémonie fut magnifique, mais, catastrophe, l'enfant mourut dans les jours qui suivirent.
Le roi, si heureux d'avoir un successeur, accepta mal sa perte et fit de violents reproches à son épouse.
Ses dieux païens l'auraient mieux protégé ...
Dès
495,
Clodomir
vit
le
jour
et
Clovis,
malgré
des
réticences
bien
compréhensibles,
ne
refusa
pas
le
baptême
du
petit
garçon
qui,
à
peine
ondoyé,
rejeta la nourriture.
Sa vie ne tenait qu'à un fil.
Heureusement, il survécut.
Prières ou bienveillance du destin ?
À cette époque, seuls deux nouveau-nés sur dix survivaient !
À la fin de la même année, la reine mit au monde Childebert, on le baptisa et tout se passa bien.
Le dieu de Clotilde n'était donc pas fatal.
On pouvait peut-être lui faire confiance ?
Un premier pas vers l'acceptation du christianisme.
D'autres circonstances poussèrent sans doute Clovis vers la conversion.
Il en est une que j'aimerais écarter.
Même si le problème religieux commençait à le préoccuper, mon ami était, avant tout, un homme d'action.
Ses objectifs restaient les mêmes : imposer son autorité, agrandir et protéger son royaume en lui donnant des frontières naturelles.
Le Rhin devait être atteint.
Mais il fallait une occasion.
Elle se présenta en 496.
On apprit que les Alamans, des pillards audacieux, avaient envahi la plaine d'Alsace.
Aussitôt, fort de son alliance (plus ou moins sincère !) avec les Burgondes, Clovis, à la tête de ses troupes, courut les repousser
à Tolbiac, près de Cologne.
La
bataille
étant
incertaine
et
la
victoire
semblant
lui
échapper,
mon
compagnon
aurait
invoqué
le
dieu
de
Clotilde
et
lui
aurait
promis
de
se
convertir s'il lui donnait la victoire.
Comme toujours, j'étais proche de lui et je ne crois pas qu'il ait lancé un tel appel.
Les chocs étaient rudes, les corps à corps féroces et le temps n'était pas à la prière, mais au combat.
S'il accepta le baptême peu après cet affrontement victorieux, les raisons en furent plus profondes.
Des interrogations traversaient son esprit, suscitées par des rencontres particulières.
Souvent,
depuis
que
le
couple
royal
séjournait
à
Paris,
la
nouvelle
capitale,
Clovis
avait
de
longues
conversations
avec
Geneviève,
la
protectrice
de
la ville, celle qui ne vivait que par et pour sa foi chrétienne.
Il l'écoutait et, peu à peu, son esprit admettait l'existence d'un dieu unique et doutait de la multitude de ceux qu'il vénérait depuis son enfance.
L'itinéraire d'un grand saint le troublait aussi.
A deux ou trois reprises, je l'accompagnai sur le tombeau de Saint-Martin, à Tours.
Mon
ami
voulait
comprendre
comment
un
légionnaire
romain,
un
guerrier
comme
lui,
ne
songeant
qu'à
se
battre,
avait-il
si
radicalement
changé,
consacrant sa vie à la charité et à la pauvreté prêchées par ce Christ, mort sur une croix pour sauver les hommes ?
Si, dans la décision de Clovis de se faire baptiser, entrèrent des préoccupations spirituelles, je pense qu'il y eut aussi un intérêt supérieur.
Devenir
chrétien
signifiait
avoir
l'appui
des
évêques,
se
concilier
la
vraie
force
morale
et
la
plus
grande
puissance
économique
de
l'époque.
Avec
leur confiance, il savait pouvoir "tenir" les territoires nouvellement conquis de la Loire jusqu'au Rhin.
FRANCHIR LE PAS ...
Noël 496 ... Le baptême ...
En ce jour, Clovis avait vaincu ses derniers doutes, certains très politiques.
Il savait que les Francs voyaient en lui le descendant de leurs dieux et qu'à ce titre lui seul avait le droit de commander au peuple.
Se faire chrétien, c'était couper la chaîne de sa légitimité.
Mais une manœuvre habile lui permit de la rétablir ...
Je revois la crypte de la cathédrale de Reims.
Les tentures blanches, les cierges allumés, les parfums répandus, un avant-goût de paradis.
C'est dans cette atmosphère que Clovis, à la demande de l'évêque Rémi, renonça au démon et reconnut "Dieu tout-puissant dans sa Trinité".
Nous fûmes trois mille guerriers à être ondoyés en même temps que lui et à adopter sa nouvelle foi.
Demeurant ainsi liés à lui, comme par le passé.
Son autorité et celle de ses descendants restaient entières.
Le dieu était différent mais le principe restait le même.
De plus, par ce sacrement, le guerrier barbare devenait le premier des "rois très chrétiens" et la Gaule "la fille aînée de l'Église".
Converti,
Clovis
se
fit
un
devoir
de
faire
triompher
l'Église
catholique
et
de
protéger
ses
évêques
persécutés
par
les
peuples
adeptes
d'Arius
qui
niaient la divinité de Jésus et le dogme de la Sainte Trinité.
Vous
vous
doutez
bien
que
notre
roi
ne
se
battit
pas
que
pour
ses
idées.
Il
avait
d'autres
intentions
et
poursuivait
toujours
le
même
but,
accroître
son autorité sous prétexte d'éradiquer l'arianisme.
Dès 500, il commença "ses croisades" en s'en prenant d'abord à ses alliés, les Burgondes et à leur roi, Gondebaud... sans doute poussé par
Clotilde, qui ne pardonnait pas les offenses et n'oubliait pas les atrocités perpétrées contre sa famille.
Ecrasés,
les
peuples
de
la
Saône
et
du
Rhône
durent
payer
tribut
et
promettre
de
venir
grossir
les
rangs
des
guerriers
francs
en
cas
de
campagne
militaire... et, justement, Clovis avait encore d'ambitieux projets.
Il voulait que son royaume s'étende jusqu'aux Pyrénées, une sûre protection naturelle !
Mais pour exécuter ce dessein, il fallait vaincre les Wisigoths qui occupaient la région.
Fort heureusement, ils étaient ariens.
Belle occasion de combattre l'hérésie !
L'attaque fut décidée et, en 507, les deux armées se retrouvèrent face à face, à Vouillé, près de Poitiers.
La bataille fut violente.
Quelle angoisse pour moi quand je vis Clovis et Alaric II s'affronter en combat singulier.
Et si mon ami était tué ?
Il fut le plus fort et, Alaric mort, les Wisigoths s'enfuirent.
Ainsi, en cette année 507, Provence et Bas-Languedoc exceptés, la Gaule, du Rhin aux Pyrénées, était devenue franque.
Après cette victoire, Clovis sembla apaisé.
Son
besoin
effréné
de
conquêtes
assouvi,
il
regagna
Paris
et
songea
à
pacifier
et
unir
tous
ces
peuples
si
dissemblables
qu'il
avait
réunis
sous
son
autorité.
Il tenta de leur donner une loi commune, celle des Francs saliens.
Il entreprit de faire noter par écrit les coutumes qui régissaient les rapports humains, souvent violents, en ce VIème siècle.
Autre lien de cette mosaïque ethnique, la religion catholique, dont l'implantation devint de plus en plus solide.
On construisit de belles églises, ornées de fresques et de mosaïques.
Les fidèles y entendaient, certes, la parole divine, mais y apprenaient aussi l'obéissance et le respect dus au "Roi très chrétien".
Comme elles avaient confiance en leurs pasteurs, les populations se laissèrent influencer et l'autorité de Clovis s'en trouva renforcée.
Le royaume était enfin en paix, le temps du repos semblait venu.
Trente ans de lutte, d'incessantes expéditions militaires.
Clovis et moi, à 45 ans, n'aspirions plus qu'au calme et à la sérénité.
Pourtant, le malheur guettait.
Début novembre 511, la santé de mon ami déclina.
Dysenterie ? Choléra ?
L'agonie fut longue et douloureuse.
Il s'éteignit au soir du 25, entouré de Clotilde, de ses fils et de ses filles.
Voilà pourquoi, écrasés de douleur, nous étions dans cette basilique où il allait être enseveli auprès de Geneviève ...
Perdu dans mes pensées, j'essayais d'imaginer ma vie sans lui.
Que
ferais-je
une
fois
que
j'aurais
accompagné
Clotilde,
à
Tours,
dans
le
couvent
où
elle
voulait
se
consacrer
à
la
prière,
auprès
du
tombeau
de
saint Martin ?
Peut-être, moi aussi, allais-je me retirer du monde ?
Mais surtout, qu'adviendrait il du royaume de Clovis partagé entre ses quatre fils ?
Sauraient-ils éviter les querelles et maintenir l'unité ?
Autant d'interrogations qui me tourmentaient et pour lesquelles, je n'avais aucune réponse.
Mémoires apocryphes d'Aurélien.