Si les jeux du Cirque provoquaient parfois la mort de quelques infortunés auriges, l'Amphithéâtre voyait, à la grande satisfaction des citoyens romains, couler des flots de sang Le programme de chaque journée de jeux était immuable. Parcourons ce programme. La matinée ou comment "chauffer" les spectateurs. Le citoyen romain qui désire assister aux jeux reçoit, à l'entrée, un jeton de terre cuite sont gravés trois numéros. Celui de la porte par laquelle il doit entrer, celui de la série de gradins et celui du siège qu'il doit occuper. Il pourra, grâce à ce sésame, entrer et sortir à volonté, à tout moment de la journée, de l'aube à la nuit. Mais en général, il reste sur place, sans se lasser. La matinée commence par des présentations d'animaux extraordinaires venus des provinces les plus éloignées de l'empire. Voici deux panthères attelées à un char, un lion qui happe un lièvre vivant et le relâche au commandement ! Des tigres exécutent toutes sortes de tours, puis viennent lécher la main du dompteur qui les a fouettés ! Des éléphants s'agenouillent respectueusement devant la loge impériale, puis tracent sur le sable, avec leur trompe, des phrases latines. Après ces attractions inoffensives, viennent des combats d'animaux. Ils opposent les couples les plus étranges : ours contre buffle, taureau contre éléphant, lion contre rhinocéros ! Heureusement qu'une grille solide sépare la foule des fauves rendus furieux par la peur et la douleur. Quand vient la pause du midi, les notables quittent leur place pour aller se restaurer, mais le grand public reste sur place. Il se régale d'un casse-croûte à base de pois chiches et de noix grillées, diverti par une troupe d'acteurs et de musiciens. L'après-midi, et le "vrai" spectacle Enfin, les "munus" (jeux) vont commencer, les gladiateurs vont entrer dans l'arène. Ces hommes sont, en général, des esclaves, des prisonniers de guerre, des miséreux contraints à ce métier. Mais, il y a aussi des volontaires qui aiment les combats à mort et comptent sur les récompenses en cas de victoire. Tous, ils abandonnent leur corps, leurs droits et même leur vie entre les mains de leur entraîneur et propriétaire : le "lanista". La troupe, la "famille", vit dans une caserne où règne une discipline de fer. On s'y exerce à toutes les formes de luttes. Selon ses aptitudes physiques, chacun se voit attribuer une spécialité. Samnite avec casque, jambières, bouclier long et épée. Thrace avec rondache (bouclier rond), jambières, brassard et sabre court. Mirmillon (ou gaulois) avec épée, petit bouclier, casque figurant un poisson ou "murma". Rétiaire avec ceinturon et plaques de protection, filet, trident et protège-bras. La veille des jeux, l'empereur offre aux gladiateurs un grand festin. Le public peut y assister, observer les combattants. Certains, pour oublier ce qui les attend s'empiffrent et s'enivrent. D'autres résistent aux tentations de la bonne chère pour être en forme le lendemain. D'autres encore, que la peur paralyse, se lamentent et rédigent leur testament. A la première heure après midi, les gladiateurs traversent Rome en procession, de leur caserne au Colisée. C'est la "pompa". Ils entrent ensuite solennellement dans l'arène, en ordre militaire, vêtus de tuniques rouges brodées d'or. Ils sont suivis de valets qui portent leurs armes. Arrivés devant la loge impériale, ils lèvent la main droite et prononcent la sinistre salutation : "Ave Caesar ! Morituri te salutant" ... " Ceux qui vont mourir te saluent" (en fait, selon Suétone, cette phrase n'aurait été prononcée qu'une seule fois, devant l'empereur Claude). Le défilé terminé, on teste le tranchant des armes pour éviter que les combats ne soient truqués. Ensuite, on tire au sort les paires de combattants, soit en opposant des gladiateurs de même catégorie, soit d'armes différentes : Mirmillon contre Rétiaire, Thrace contre Samnite. Des gardes, armés de fouets et de glaives, découragent toute tentative de fuite et surveillent l'échauffement des gladiateurs qui feignent coups et parades. Puis, s'élève la cacophonie d'un curieux orchestre mêlant les flûtes, les trompettes, les cors, l'orgue hydraulique, et enfin, sur l'ordre du président des jeux, les duels commencent. A peine la première paire a-t'elle entamé son combat que le public est soulevé de passion. Comme aux courses, tous ont parié sur tel ou tel combattant. Chaque blessure que se portent les adversaires provoque des cris sauvages d'encouragèrent : "Frappe ! Tue ! Egorge !" et un instructeur réchauffe l'ardeur homicide des gladiateurs en les frappant jusqu'au sang de leurs lanières de cuir. Dès que l'un des deux chancelle, une terrible allégresse saisit l'assistance. Le plus souvent, le vaincu est seulement terrassé. Il n'est pas mort mais, incapable de continuer la lutte, il dépose les armes, s'allonge sur le dos et lève la main gauche pour demander grâce. Il appartient, en principe, au vainqueur de décider de son sort, mais, en général, il demande l'avis de l'empereur. Celui-ci, à son tour, interroge la foule. Si le vaincu s'est bien battu, les spectateurs agitent leur mouchoir, lèvent un doigt en criant "Renvoie-le !". L'empereur lève alors le pouce et il n'y a pas mort d'homme. Par contre, si le combattant au sol s'est battu avec mollesse, le pouce impérial s'abaisse et le malheureux n'a plus qu'à tendre sa gorge au coup de grâce du vainqueur. Aussitôt, des serviteurs s'approchent, déguisés en Charon, le batelier qui conduit l'âme des morts aux Enfers. Ils s'assurent à coups de maillet sur le front et avec des fers rougis, que l'homme est bien passé de vie à trépas ! Ils l'emmènent ensuite et retournent hâtivement le sable rougi par le sang. Le gladiateur victorieux est immédiatement récompensé. Plats d'argent chargés de pièces d'or et autres cadeaux précieux dans les mains, il quitte l'arène sous les acclamations de la foule. Il est riche et glorieux, mais pour combien de temps ? S'il a la chance de terminer son contrat, il reçoit une épée en bois, symbole de sa libération. Mais souvent, incapable de renoncer à la bonne nourriture, à l'ivresse de la victoire, il "rempile" ou devient, à son tour, instructeur. Des centaines de duels vont ainsi se succéder et le sang continuera de couler. L'odeur en est tellement insoutenable que des esclaves aspergent régulièrement la foule de parfums exotiques ! A la tombée du Jour ... les "chasses". Dans l'amphithéâtre illuminé, on installe avec une rapidité déconcertante, un décor compliqué d'arbres et de rochers ménageant de nombreuses cachettes. Des bêtes sauvages : lions, tigres, panthères, ours... sont lâchés dans ce paysage reconstitué. Puis, les gladiateurs paraissent, entourés d'une meute de chiens écossais. Et la chasse commence. Souvent les "chasseurs" affrontent avec courage les ours, à mains nues, aveuglent les lions sous les plis d'un manteau ou encore excitent les taureaux avec un chiffon rouge. Ils enthousiasment aussi les spectateurs par leurs feintes et leurs ruses. Pour éviter l'attaque des fauves, ils escaladent des murs, sautent à la perche, se faufilent derrière des parapets et même se glissent dans des paniers sphériques garnis de piquants : les "hérissons". Le spectacle est certes magnifique, mais il aboutit, parfois à de véritables tueries. Plus de 500 bêtes furent sacrifiées lors de la cérémonie d'inauguration du Colisée par Trajan en 80 ! Mais ce déluge de sang n'est rien à côté du plus horrible des jeux qui se déroule aux premières lueurs de l'aube. Seuls les spectateurs les plus acharnés, les plus sanguinaires y assistent. On amène les condamnés à mort. Ils sont attachés à des poteaux, nus...puis on libère les fauves : lions affamés ou taureaux furieux. Pendant les persécutions contre les chrétiens, beaucoup de martyrs périrent par cet affreux supplice que l'empereur Constantin interdit, enfin, le 1er octobre 326. Il nous reste à nous demander pourquoi les Romains dont la vertu essentielle était la mesure, ont pu se laisser séduire par ces spectacles de mort. L'ivresse du sang répandu sur le sol réveillait sans doute leurs plus vils instincts et, comme Sénèque (4av J.-C - 12 avril 65), nous ne pouvons que nous interroger : "N'attendaient-ils d'une créature humaine que son agonie" ? Bien inquiétante question pour un peuple qui a colonisé et "civilisé" des milliers d'hommes en Europe et en Afrique. Ne serait-ce pas cet héritage de sang, de violence et de haine qui génère bon nombre de nos conflits actuels ?