Il y a peu encore, chaque village avait sa forge. C'est un lieu de passage et de rencontre par excellence, au même titre que l'estaminet ou la place du marché. Les hommes aiment à s'y retrouver autour du feu qui réchauffe et qui éclaire l'endroit en faisant danser les ombres sur les murs noircis. Ils y échangent les dernières nouvelles alors que le forgeron étire le fer à grands coups de marteau et le dompte en faisant jaillir des bouquets d'étincelles. Sa force physique impressionne. Beaucoup d'activités dépendent de son travail et cela lui donne une réelle importance. Sa maîtrise du feu, de l'air et de l'eau... en font le personnage de la vie villageoise. C'est lui qui ferre les chevaux, les mules et les vaches, fabrique et répare les versoirs et les pièces en fer des charrues et des attelages. Il réalise tout l'outillage à main nécessaire aux travaux des champs et les outils des artisans du village. Il forge également les objets de la vie de tous les jours, en particulier ceux qui servent à la cuisine, à l'âtre : landiers, trépieds, grils et crémaillères. Le foyer et son énorme soufflet, l'enclume, la cuve d'eau pour tremper le fer incandescent occupent la plus grande partie de l'espace disponible. De cinq heures du matin à tard le soir, l'enclume sonne joyeusement, même le dimanche. Il n'y a guère qu'à la Saint Éloi que le silence se fait. Un peu magicien, le forgeron est aussi vétérinaire, dentiste et guérisseur. Ne dit-on pas que son marteau a le pouvoir de guérir ? On lui amène des enfants souffrant de convulsions placés nus sur l'enclume que l'homme de l'art martèle avec violence. Il lève le bras, fait semblant de frapper l'enfant, arrête le marteau à deux doigts du ventre du petit malade avant de le toucher doucement avec le fer et la guérison espérée se produit quelquefois.