Henri IV demeure l'une des figures les plus fascinantes et aimées de l'histoire de France. Premier roi de la dynastie des "Bourbon", il incarne le passage d'une France déchirée par les guerres de religion vers une nation réconciliée et prospère. Son règne marque un tournant décisif dans l'histoire du royaume, posant les fondations de la monarchie absolue tout en établissant un modèle de tolérance religieuse révolutionnaire pour son époque. Origines et jeunesse : Le prince protestant de Navarre Le 13 décembre 1553, dans la ville de Pau, capitale du Béarn nichée au pied des Pyrénées, naît Henri de Bourbon. Fils d'Antoine de Bourbon (1518-1562), duc de Vendôme, et de Jeanne d'Albret (1555-1562), reine de Navarre, le jeune prince est destiné à un destin exceptionnel dès sa naissance. Son grand-père paternel, Charles de Bourbon (1490-1527), et sa grand-mère maternelle, Marguerite d'Angoulême (1492-1549), sœur du roi François Ier (1494-1547), lui confèrent une ascendance royale prestigieuse qui le place dans la ligne de succession au trône de France. Selon la légende, son grand-père Henri d'Albret (1503-1555) aurait frotté les lèvres du nouveau-né avec une gousse d'ail et lui aurait fait boire du vin de Jurançon pour lui donner force et vigueur. Éducation protestante : Élevé dans la foi calviniste par sa mère Jeanne d'Albret, fervente huguenote Roi de Navarre : Hérite du royaume à 19 ans en 1572, devenant un souverain indépendant Le jeune Henri grandit dans un contexte de tensions religieuses croissantes. La France est déchirée entre catholiques et protestants, et le royaume de Navarre devient un bastion stratégique pour les huguenots. Dès son adolescence, Henri est initié à l'art de la guerre et à la diplomatie, compétences qui lui seront indispensables dans les décennies à venir. Sa jeunesse au cœur des Pyrénées forge son caractère : pragmatique, courageux et doté d'un sens aigu de la survie politique. Les guerres de religion et la lutte pour le trône Les guerres de religion qui ravagent la France entre 1562 et 1598 constituent le théâtre sanglant dans lequel Henri va construire son destin royal. Ces conflits opposent les catholiques, majoritaires et soutenus par la puissante Ligue catholique dirigée par la famille de Guise, aux protestants calvinistes, appelés huguenots, qui représentent environ 10% de la population, mais comptent de nombreux nobles influents dans leurs rangs. 1572   :   Mariage   et   massacre : Henri épouse Marguerite de Valois, sœur du roi Charles IX, dans une tentative de réconciliation entre catholiques et protestants. Six jours plus tard, la nuit de la Saint-Barthélemy déclenche le massacre de milliers de protestants à Paris et dans tout le royaume. 1572-1576 : Captivité : Henri est retenu prisonnier à la cour, contraint d'abjurer le protestantisme. Il s'évade en 1576 et retourne à la foi protestante, reprenant la lutte armée. 1584   :   Héritier   présomptif : La mort du duc d'Anjou fait d'Henri de Navarre l'héritier légitime du trône de France, au grand désarroi de la Ligue catholique qui refuse un roi protestant. 1589   :   Avènement   au   trône : Le 2 août, Henri III est assassiné par le moine Jacques Clément. Sur son lit de mort, il reconnaît Henri de Navarre comme son successeur légitime. Henri IV devient roi de France, premier de la dynastie des Bourbon. Henri de Navarre émerge rapidement comme le chef militaire et politique incontesté du parti protestant, menant de nombreuses batailles avec courage et habileté stratégique. La Ligue catholique, soutenue par l'Espagne de Philippe II 1527-1598), refuse de reconnaître un roi hérétique et contrôle Paris ainsi que de nombreuses villes du royaume. Henri doit conquérir son royaume pied à pied, remportant des victoires militaires décisives à Arques (1589) et Ivry (1590). "Paris vaut bien une messe" Face à une France exsangue après des décennies de guerre civile, Henri IV prend la décision la plus controversée, mais aussi la plus décisive de sa vie. En juillet 1593, dans la basilique de Saint-Denis, il abjure solennellement le protestantisme et se convertit au catholicisme. Cette conversion, qu'il aurait justifiée par la célèbre phrase "Paris vaut bien une messe", ne relève pas d'une conviction religieuse profonde, mais d'un calcul politique génial. Henri comprend qu'un roi protestant ne pourra jamais régner efficacement sur un royaume à 90 % catholique. Sa conversion ouvre les portes des villes qui lui résistaient, et progressivement, les bastions de la Ligue se rallient. Le 27 février 1594, Henri est sacré roi à Chartres, légitimant définitivement son pouvoir aux yeux de l'Église et du peuple. En mars 1594, la capitale ouvre ses portes au roi converti. Le pragmatisme politique d'Henri IV au service de la paix civile préfère la réconciliation à la persécution, l'unité nationale à l'orthodoxie religieuse. L'Édit de Nantes : Une révolution de tolérance Mais Henri ne trahit pas pour autant ses anciens coreligionnaires. En avril 1598, après cinq ans de négociations délicates, il promulgue l'Édit de Nantes, texte fondamental qui établit une coexistence pacifique entre catholiques et protestants. C'est une révolution : pour la première fois en Europe, un État reconnaît officiellement deux religions sur son territoire. Liberté de conscience Accordée à tous les sujets du royaume sur l'ensemble du territoire français Liberté de culte : Droit de pratiquer le culte protestant dans certaines localités désignées Égalité civile : Accès à tous les emplois publics sans discrimination religieuse Places de sûreté : Garanties militaires pour assurer la sécurité des communautés huguenotes Cette politique de tolérance, exceptionnelle pour l'époque, vaut à Henri IV le surnom de "Bon Roi Henri" et "Henri le Grand". Il incarne le pragmatisme politique au service de la paix civile. Son œuvre de pacification met fin à près de quarante ans de guerres civiles et pose les fondations d'une France moderne et apaisée, les sujets peuvent vivre selon leur conscience tout en demeurant loyaux à leur roi. Un règne de réformes et de modernisation Une fois la paix religieuse établie, Henri IV se consacre avec énergie à la reconstruction et à la modernisation d'un royaume ruiné par des décennies de guerre. Entouré de conseillers compétents, notamment Maximilien de Béthune, duc de Sully (1560-1641), qu'il nomme surintendant des finances, le roi met en œuvre un vaste programme de réformes touchant tous les aspects de la vie du royaume. Réforme   des   finances   : Sully réorganise le système fiscal, lutte contre la corruption des collecteurs d'impôts, réduit les exemptions nobiliaires et rembourse une partie importante de la dette royale. Le budget de l'État est assaini et les caisses se remplissent à nouveau. Développement    agricole : Appliquant le principe "labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France", Henri IV encourage l'agriculture en réduisant les taxes sur les paysans, en développant l'élevage du ver à soie et en introduisant de nouvelles cultures. Commerce   et   industrie : Le roi favorise les manufactures royales, développe l'artisanat de luxe (tapisseries, verreries), encourage le commerce maritime et soutient la création de compagnies commerciales pour rivaliser avec l'Espagne et les Provinces-Unies. Infrastructures : Henri IV lance un vaste programme de travaux publics : construction et réparation de routes, édification de ponts (dont le Pont-Neuf à Paris, premier pont sans maisons), création du canal de Briare reliant Loire et Seine. Expansion coloniale : Il soutient Samuel de Champlain (1574-1635) dans l'établissement de Québec en 1608, marquant le début de la Nouvelle-France. Cette initiative pose les bases de l'empire colonial français qui s'étendra sur trois continents. Éducation et culture : Homme cultivé, Henri IV favorise le développement de l'éducation et des arts. Il fonde ou réforme plusieurs collèges, encourage l'imprimerie et la diffusion des livres, et fait de Paris une capitale culturelle rayonnante. « Je veux qu'il n'y ait si pauvre paysan en mon royaume qu'il n'ait tous les dimanches sa poule au pot. » L'œuvre d'Henri IV et de Sully transforme profondément la France. En une quinzaine d'années, le royaume passe de la ruine économique à la prospérité, de l'anarchie politique à un État centralisé efficace. Sa célèbre promesse de mettre "la poule au pot" chaque dimanche pour ses sujets symbolise son désir de prospérité partagée et son attention au bien-être populaire, faisant de lui un roi aimé autant que respecté. L'assassinat du 14 mai 1610 Le 14 mai 1610, Paris est plongé dans l'horreur. Henri IV, âgé de 56 ans et au sommet de sa puissance, circule en carrosse dans la rue de la Ferronnerie lorsque son véhicule est bloqué par un encombrement. Un homme s'approche et frappe le roi de trois coups de couteau. François Ravaillac (1578-1610), un fanatique catholique convaincu que le roi trahit la foi en préparant une guerre contre l'Espagne catholique, vient d'assassiner le "Bon Roi Henri". Le roi meurt presque instantanément, laissant la France dans le deuil et la stupeur. Le   contexte   : Henri IV préparait une intervention militaire dans le conflit de succession de Clèves-Juliers, ce qui l'opposait aux Habsbourg d'Espagne et d'Autriche. Ravaillac, obsédé par l'idée qu'Henri voulait faire la guerre au pape et détruire le catholicisme, a agi seul. Le châtiment : Torturé pour révéler d'éventuels complices, Ravaillac maintient avoir agi seul. Il est condamné à l'écartèlement en place de Grève le 27 mai 1610, subissant le châtiment réservé aux régicides. Sa famille est bannie et son nom effacé des registres. La   succession : Louis XIII (1613-1643), fils d'Henri IV et de Marie de Médicis (1575-1642), n'a que huit ans au moment de l'assassinat de son père. Marie de Médicis assure la régence, mais son gouvernement maladroit et son entourage italien compromettent l'œuvre d'Henri IV. La dynastie Bourbon : Malgré les difficultés, la dynastie des "Bourbon" continue et règnera sur la France jusqu'en 1792, puis à nouveau de 1814 à 1848, perpétuant l'héritage du premier roi Bourbon. Un héritage durable : Le Bon Roi Henri Quatre siècles après sa mort, Henri IV demeure l'un des rois les plus populaires et admirés de l'histoire de France. Son œuvre de pacification religieuse, unique en Europe à son époque, fait de lui un précurseur de la tolérance et du vivre-ensemble. L'Édit de Nantes restera en vigueur jusqu'à sa révocation par Louis XIV en 1685, près d'un siècle plus tard. Henri IV a transformé un royaume déchiré en une puissance européenne respectée. Son pragmatisme politique, sa capacité à transcender les clivages religieux pour servir l'intérêt national, et sa proximité légendaire avec son peuple font de lui une figure exceptionnelle. Dans la mémoire collective française, Henri IV incarne le bon roi par excellence : courageux au combat, sage en politique, généreux envers son peuple, et capable de mettre de côté ses convictions personnelles pour le bien commun. Sa phrase "Paris vaut bien une messe" résume son génie : celui de savoir faire les compromis nécessaires pour construire la paix. Son assassinat brutal montre tragiquement que les démons du fanatisme religieux n'étaient pas totalement vaincus, mais son œuvre de réconciliation et de modernisation a survécu et continue d'inspirer. Henri IV reste ainsi un symbole puissant de la possibilité de surmonter les divisions pour bâtir un avenir commun, une leçon qui résonne encore aujourd'hui. Le "Bon Roi Henri" demeure dans les cœurs comme le monarque qui a su, par son courage, son pragmatisme et son humanité, réconcilier une nation déchirée et lui offrir un avenir prospère.