Depuis la nuit des temps, les hommes se combattent, s'entre-tuent. Des milliers de guerres, des millions de morts. Faute de pouvoir éviter les conflits, certains ont essayé de les limiter et de faire preuve de compassion à l'égard des victimes. En Europe, les premières mesures pour tenter d'enrayer les violences et les trop nombreuses morts de jeunes chevaliers furent l'œuvre de l'Église. Il fallait limiter les combats et les guerres privées entre seigneuries voisines. La "Trêve de Dieu", proposée par le pape Jean XV (xxx-996) dès la fin du Xème siècle, codifiée par les conciles de Nice et de Narbonne au XIème siècle, défendit de se battre pendant l'Avent et le Carême. Puis, pour assurer le respect du dimanche, l'interdiction fut étendue du samedi au lundi et enfin du mercredi au lundi. On ne pouvait donc vider ses querelles que le mardi. La peine pour ceux qui ne respectaient pas les règles... l'excommunication. Malgré l'importance de la punition pour l'époque, être exclu de la communauté religieuse et de tout sacrement, elle ne fut guère dissuasive et on continua à se battre n'importe quel jour de la semaine. Le but était de "protéger" les combattants de leurs instincts belliqueux. Par contre, les souffrances des "populations civiles" n'étaient aucunement prises en compte. Massacrer les enfants, violer les femmes, brûler les chaumières et les récoltes faisaient partie du "droit de guerre". Où était l'idéal de la chevalerie de protéger les plus faibles ? La "Paix de Dieu", censée remédier à ces fléaux, défendit donc de s'en prendre aux femmes, aux enfants, aux clercs, aux marchands, aux pèlerins, ainsi qu'aux paysans et leurs biens (précision nécessaire car, pour s'affronter, les belligérants n'hésitaient pas à choisir un champ, même s'il était à la veille des moissons !). Cet interdit n'aurait pas été plus respecté que le précédent si l'excommunication n'avait été assortie d'une possible confiscation de terres. Voilà qui pouvait faire réfléchir !!! Mais si peu ! Au XIIème siècle, toujours afin de réduire les hécatombes, le concile de Latran déconseilla l'usage de l'arbalète, jugée trop dévastatrice dans les conflits entre chrétiens et seulement entre chrétiens. On pouvait donc, sans vergogne, exterminer les musulmans ! Tout au long du Moyen Âge, seul le "droit d'asile" semble avoir été réellement respecté. Il mettait à l'abri des poursuites et des brutalités ceux qui se réfugiaient dans les églises et les monastères. Hélas, il n'y avait pas que les honnêtes gens qui demandaient protection ! Jusqu'au XVème siècle, le geste le plus "humain" que pouvait espérer un combattant gravement atteint était le "coup de grâce". Le vainqueur compatissant introduisait, entre le heaume et l'armure du mourant, une dague dite de "miséricorde" et lui tranchait la gorge afin de lui éviter des heures d'agonie. La médecine de guerre n'apparut que lentement sur les champs de bataille. Au XVIème siècle, avec Ambroise Paré puis, beaucoup plus tard, avec le baron Dominique Larrey (1766-1842), chirurgien de la Grande Armée qui suivit Napoléon 1er dans toutes ses campagnes. Mais les soins restaient insuffisants, voire "dangereux". On opérait sans hygiène, sans anesthésie sous des tentes hâtivement dressées. On amputait sans précautions et sans discernement, comme un remède à toute blessure. La mort immédiate aurait souvent été préférable pour les malheureuses victimes qui souffraient le martyr avant d'expirer. Pourtant au XVIIIème siècle, sous l'influence des philosophes du "siècle des Lumières", on commença à s'intéresser au sort des blessés. On parla d'"humanité", d'être "humanitaire". Le soldat fut considéré comme un être humain et non comme de la simple "chair à canon". Des accords eurent lieu entre les Etats pour des échanges. Le premier en 1743, au cours de la bataille de Dettingen entre les Anglais de Lord Stair John (1673-1747) et les Français du Maréchal de Noailles (1678-1766). En 1759, durant la guerre de Sept Ans, Français, Anglais et Prussiens agirent de même. Cela ne concernait que quelques centaines d'hommes. Mais, au fil des décennies, les Etats gonflèrent considérablement leurs effectifs militaires et utilisèrent des armements de plus en plus "performants". Évidemment, le nombre des morts et des blessés sur les champs de bataille augmenta dans de fortes proportions. Le comble de l'insoutenable fut atteint à Solferino, en Italie du Nord, le 24 juin 1859. Les Italiens, soutenus par les Français, luttaient contre les Autrichiens pour conquérir leur indépendance. La bataille fut une boucherie ... 16000 morts ... 24000 blessés à peine 4000 médecins et infirmiers. Un Suisse, Henry Dunant (1828-1910), venu rencontrer Napoléon III, l'empereur des Français, pour lui parler agriculture, découvrit le champ de bataille. Horrifié, il décrivit ce qu'il avait vu et ressenti dans un petit opuscule "Un souvenir de Solferino" qui, tiré à 1600 exemplaires, fit le tour des pays européens. Les observations et les réflexions de Dunant aboutirent à la création de la première organisation humanitaire. La "Croix-Rouge" en 1864. Son principe essentiel était le respect de la neutralité, celle des blessés, celle des soignants. Les uns et les autres devaient être considérés comme appartenant à "l'humanité", sans aucune notion de nationalité particulière. La "Croix-Rouge" devait aussi se tenir prête à intervenir, à tout moment, sur tel ou tel théâtre d'opérations. Cette « attente» d'interventions semble un peu cynique. La guerre serait-elle légitime et inévitable ? Peu à peu, chaque pays d'Europe fonda son Comité national, chapeauté par le Comité international basé à Genève. Dès 1877, les pays musulmans créèrent leur propre organisation de protection des victimes. Le "Croissant Rouge". Durant la Première Guerre mondiale, outre les soins aux blessés, la Croix- Rouge s'investit également dans l'aide aux prisonniers. Visites de 524 camps, envois de lettres, de colis (1200 bénévoles expédièrent 1813 wagons), rapatriement de 700 000 hommes à la fin des hostilités. Son implication lui valut le prix Nobel de la paix en 1917 (Dunant, quant à lui, l'avait obtenu à titre personnel en 1901). La "Croix-Rouge" n'agissait et n'intervenait qu'en cas de conflits armés, ne s'intéressant qu'aux combattants. Si son efficacité et son dévouement sur les champs de bataille n'étaient plus à prouver, l'Organisation manqua cependant d'humanité et la Seconde Guerre mondiale jeta le discrédit sur elle ... Ses délégués qui avaient pourtant, à maintes reprises, visité les camps de concentration, ne dénoncèrent pas le génocide. L'Organisation des Nations Unies (l'ONU), née aux lendemains de la Guerre, en 1945, à San Francisco, s'efforça d'assurer la relève et d'œuvrer en faveur de la paix (et non de pallier les désastres de la guerre). Furent donc créés le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR), l'Unicef (en faveur des enfants), l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le Programme alimentaire mondial (PAM). Mais l'ONU connut bien vite des limites. Elle ne gérait que les différents entre Etats et ne pouvait pas intervenir dans leurs affaires internes. Elle resta impuissante dans les multiples guerres civiles qui éclatèrent en Ethiopie, en Somalie, en Angola, au Sri Lanka, au Liban, au Cambodge, au Nicaragua, en Afghanistan ... Impossible de venir au secours des populations dans la détresse, sans l'accord des gouvernements. C'est alors qu'une nouvelle forme d'aide vit le jour. Le tournant se produisit en 1968 au Biafra. Face au refus du gouvernement nigérian de laisser les instances mondiales porter assistance aux populations, des Organisations Non Gouvernementales (ONG) agirent en toute illégalité apportant des soins, des remèdes, des produits alimentaires. Ces organisations et c'était là la nouveauté, estimaient, qu'en plus de l'aide humanitaire qu'elles apportaient, elles avaient un devoir de témoignage. Ce fut la devise de Bernard Kouchner qui, en 1971, fonda "Médecins sans Frontières". La reconnaissance du rôle des ONG eut lieu le 22 novembre 1988 quand l'ONU vota une résolution adoptant "le droit d'ingérence humanitaire", c'est-à-dire le libre accès aux victimes en cas d'urgence, sans se préoccuper de l'éventuelle opposition des Etats concernés. Deux jours après ce vote "historique", un tremblement de terre secoua l'Arménie, et c'est, sans visas et forts de la nouvelle décision que les secouristes français débarquèrent dans le pays qui dépendait encore de l'URSS. Le droit à l'ingérence fut ensuite appliqué en Irak, en ex-Yougoslavie, en Somalie, au Mozambique, au Liberia ou encore au Rwanda pour lequel Bernard Kouchner alla jusqu'à réclamer, en 1994, une intervention immédiate pour mettre fin aux massacres. On compte aujourd'hui plus de 40000 ONG présentes dans le monde entier. Malgré leur savoir-faire, l'abnégation de leurs bénévoles, elles n'ont malheureusement, qu'une influence variable, soumise aux caprices des Etats. Cependant, en dépit des pressions politiques, elles restent des témoins, parfois gênants, mais qui veillent... Ce rôle primordial d'aide et de vigilance, il faut que les ONG puissent continuer de l'exercer contre vents et marées.