La notion de devoir de mémoire est devenue le thème dominant des discours officiels repris abondamment par les médias. Verdun est un haut lieu de mémoire où nous retrouvons la tranchée des baïonnettes. Site reconnu, avec la nécropole nationale de Fleury-devant-Douaumont, comme l'un des neuf hauts lieux de la mémoire nationale. La Tranchée des baïonnettes constitue l'un des mythes de la Première Guerre mondiale. Mais quelle est son histoire ? Depuis un siècle, les histoires concernant ces quelques canons de fusils émergeant du sol ont suscité plusieurs interprétations. La version populaire veut que des soldats de deux compagnies aient été enterrés vivants, debout, alors qu'ils attendaient une attaque baïonnette au canon. La journée du 11 juin 1916 est marquée par un bombardement d'artillerie terrifiant, (notamment de canons lourds de 280 mm et obusiers de 305 mm) préliminaire à plusieurs assauts lancés le lendemain. Ceux-ci sont en partie repoussés, mais la 3e compagnie et des éléments de la 4e compagnie du 137e RI se retrouvent alors isolés dans leur position, séparés par des trous d'obus. Le 12 juin 1916, vers midi, il ne reste plus que 25 hommes sur 60 qui se sont battus vaillamment pour tenir leur position. Le lendemain, épuisés, à court de munitions, de vivres et d'eau, les hommes ayant subi l'assaut de 4 vagues allemandes, se rendent alignant leurs fusils à la verticale sur la paroi de la tranchée, laissant leurs compagnons d'armes qui avaient trouvé la mort. "Une sorte de dernier hommage à leurs frères d'armes dont les cadavres jonchent le fond". Un drame parmi tant d'autres dans l'enfer de Verdun où le régiment a perdu plus de 1500 hommes en juin 1916... Suite à cet effroyable bombardement, et selon la légende la terre n'aurait alors laissé dépasser que les pointes des baïonnettes de ces valeureux soldats morts debout face à l'ennemi. Pendant des mois, les obus et les intempéries comblent ce qui va devenir la fameuse Tranchée des baïonnettes. On est bien loin de la légende "des guetteurs du sol de France morts pour la France ". En décembre 1918, parcourant le champ de bataille, l'abbé Ratier, brancardier en 1916 du 1370 RI, aperçoit sur la crête de "Thiaumont-Fleury-Vaux" sortant de terre, quelques canons de fusils. En 1919, le chef de corps du 137e RI, revient sur le champ de bataille pour retrouver l'emplacement le régiment s'était battu. Il retrouve sur place des fusils alignés, sans baïonnette, qui sortent de terre. Les baïonnettes servaient avant tout à l'assaut, alors pourquoi les soldats français auraient-ils mis alors baïonnette au canon ? Un travail de fouille confirmera la présence de dépouilles de soldats du 137e RI. En 1920, les fouilles permettent la découverte de 21 corps de soldats français. Quatorze ont été identifiés et enterrés à la Nécropole de Fleury devant Douaumont. Les sept autres corps qui restent inconnus ont été réinhumés dans la "Tranchée des baïonnettes". En réponse à cette découverte, le commandant du régiment fait ériger un petit monument commémoratif surmonté d'une croix. Vers 1920, ces faits furent transformés en légende par les premiers touristes ou militaires visiteurs du front. Pour renforcer le mythe, on a replacé des baïonnettes au bout des fusils, mais ces dernières étant régulièrement volées, elles ne seront plus remplacées. En voyant les baïonnettes, ces touristes n'en comprirent pas la signification et fabriquèrent une histoire conforme à l'idée qu'ils s'en faisaient de la bataille, suggérant mieux le corps à corps héroïque, presque joyeux, à l'arme blanche et par là même le symbole patriotique poussé à son extrême. C'est ainsi que cette tranchée d'abord appelée : "tranchée des fusils" deviendra la "Tranchée des baïonnettes", un nom plus tristement évocateur même au prix de l'invraisemblance. Revenons sur le travail de l'artillerie du 11 juin 1916. En effet, ce type d'artillerie inflige un changement de la topographie. Les obus creusent et sont incapables de combler une tranchée en explosant. Ils éparpillent les parois des tranchées et les hommes qu'ils abritent en déchiquetant les corps. Et comment peut-on imaginer, un seul instant, cette rangée d'hommes debout, baïonnette au canon, laissant passivement la terre monter de la cheville au genou, à la ceinture, aux épaules, à la bouche ? Alors comment expliquer dans ces conditions que lors des fouilles, les corps étaient allongés, désarmés et que les fusils soient restés plantés, droits et alignés ? Ces alignements de fusils ou de baïonnettes le long d'une tranchée, ou de corps, sont très fréquents. Il s'agit d'un usage qui s'est établi durant la guerre. Après une offensive, il était nécessaire d'enterrer au plus vite les corps, y compris ceux des ennemis. La solution la plus pratique était de combler un boyau inutilisé avec les corps. Ensuite, La tombe collective était ensuite marquée de fusils baïonnettes en l'air. Le monument régimentaire de 1920, seul dans ce paysage dévasté, attire alors l'attention des pèlerins, en particulier celle d'un banquier américain, George T. Rand. Très impressionné par ces images, il fait un don de 500 000 Francs pour la construction d'un monument dédié aux héros de Verdun qui abrite toujours le site. Légende ou réalité, la "Tranchée des Baïonnettes" symbolise toujours, au-delà des récits et des interprétations des faits historiques de juin 1916, le sacrifice des soldats français sur le champ de bataille de Verdun.