D'après
mes
grands-parents,
avant
la
tourmente
de
1793,
le
Bocage
était
recouvert
de
bosquets et de fourrés épais.
Les terres incultes envahies d'ajoncs rendaient le pays presque impénétrable.
Une seule route traversait la région.
Dans
ce
fouillis
de
verdure
se
blottissaient
de
petits
villages,
à
deux
ou
trois
lieues
l'un
de
l'autre (1 lieue= +/- 4,5 km).
Ici et là, émergeait d'une colline un clocher entouré de maison.
Un monde mystérieux d'oiseaux mêlait ses cris au martèlement du métal sur l'enclume.
A
travers
les
haies
touffues
parvenaient
les
voix
du
bouvier
conduisant
son
attelage
aux
champs.
La contrée était calme.
Mais ce n'est pas sans une certaine frayeur que l'on suivait les chemins encaissés et étroits.
Dans
mes
jeunes
années,
j'allais
souvent
au
village
voisin
porter
à
mon
oncle
un
panier
débordant de produits de notre ferme.
Il était sabotier.
Il travaillait toute la journée, arrivant à peine à satisfaire ses clients.
En été, il fabriquait des sabots de bois de vergne (aulne) plus légers à porter.
En hiver, le bois d'ormeau très dur et plus lourd ne facilitait pas sa tâche.
En ce temps-là, le village pouvait se suffire à lui-même.
Ne trouvait-on pas un artisan dans la plupart des maisons ?
J'entendais le claquement des métiers à tisser dans les caves.
J'aimais m'arrêter devant le potier.
Sous ses doigts agiles, la terre argileuse devenait, tout à tour, cruche, plat ou écuelle…
Je parcourais les rues faites de terre battue, empierrées par endroits.
De
chaque
côté,
bâties
de
plain-pied,
les
maisons
se
faisaient
face,
attenantes
à
un
bout
de
jardin.
Des
treilles
et
des
poiriers
en
garnissaient
les
façades
non
crépies,
aux
portes
pleines
et
aux
petites fenêtres à barreaux.
Sur une colline toute proche, le vent faisait tourner les ailes d'un moulin.
Le meunier tirait également profit d'une petite rivière où le moulin à eau produisait la farine.
Les fermiers se ravitaillaient chez lui avant de cuire le pain au four.
Entre-temps,
le
meunier
se
faisait
rebouteux,
guérisseur,
arracheur
de
dents
et
sa
renommée
dépassait de loin le village.
On le comptait parmi des "notables" de la bourgade.
Sans nul doute, le forgeron occupait également une place importante au village.
Il
avait
supplanté
les
petites
forges
et
les
enclumes
des
fermiers
qui,
jusqu'alors,
fabriquaient
ou réparaient eux-mêmes leurs propres outils.
Toute la journée, son enclume résonnait comme le tintement d'une petite cloche.
Les rues étaient animées par le travail des artisans.
Je
m'attardais
souvent
devant
l'atelier
du
charron,
fasciné
par
le
brasier
et
le
cercle
de
fer
chauffé à blanc.
J'étais
subjugué
par
les
gestes
vifs
et
calculés
que
les
hommes
exécutaient
pour
poser
ce
cercle incandescent sur la roue de charrette.
Je revois encore la fumée qui s'échappait et j'entends le grésillement du bois.
Vite un seau d'eau pour refroidir !
Cela se passait devant l'échoppe du charron.
J'accompagnais les femmes au puits de la petite place.
Le treuil se déroulait vite.
J'écoutais
le
grincement
de
la
chaîne
et
le
bruit
particulier
que
faisait
le
seau
en
tombant
dans
l'eau.
Avec
les
garçons
de
mon
âge,
que
de
fois
je
me
suis
penché
par-dessus
la
margelle
pour
me
mirer dans d'eau profonde !
La population vaquait à ses occupations du matin au soir.
Travail
pénible,
sans
doute,
mais
les
fêtes
familiales
et
religieuses,
les
noces,
la
fête
du
Saint-
Patron marquaient un temps d'arrêt.
Malgré
la
visite
des
colporteurs
qui
venaient
offrir
leurs
marchandises,
nous
allions
aux
foires
très fréquentées dans les environs.
Le soir, nous rapportions "la part de foire" à ceux qui gardaient la ferme.
C'est
Monsieur
le
Curé,
principal
personnage
du
village,
seul
lettré,
la
plupart
du
temps,
qui
m'avait appris à lire.
Il
tenait
les
registres
paroissiaux
qui
faisaient
état
d'actes
religieux,
baptêmes,
mariages
et
sépultures qui cadençaient la vie des gens.
La population rurale se rassemblait aux offices chaque dimanche.
A
la
sortie
de
l'église,
on
aimait
se
raconter
les
dernières
nouvelles
et
discuter
des
travaux
de
saison.
Ces rencontres se prolongeaient souvent bien après l'heure du repas.
L'enfant
que
j'étais,
observait
cette
population
active,
tenace,
attachée
à
sa
terre
et
qui
devait
sa prospérité au travail de chacun.
Je connaissais tous les gens.
Malgré leur dure besogne, ils me paraissaient heureux.
J'en conserve une image de bonheur et de sérénité.
J. Maupillier (garde)