En 1978, Puy du Fou est une carcasse décharnée.
D'un aspect imprévu, le château enchante l'œil.
Face
au
couchant,
des
pans
de
murs
ruinés
baignent
dans
des
flaques
de boue.
Une
fois
le
porche
franchi,
on
pénètre
dans
la
cour
carrée
autour
de
laquelle s'ordonnent les bâtiments.
Les
deux
tours
octogonales
de
l'aile
nord
rappellent
ce
que
fut
la
demeure au XVème siècle.
La
partie
principale
du
château
se
compose
de
deux
corps
de
bâtiments
réunis
autour
d'un
escalier
somptueux
enrichi
d'un
péri
à
arcades et colonnes.
Premier regard, première passion.
Le
granit
roux
des
Mauges
aux
gros
grains
de
mica,
les
tuiles
creuses,
les briques roses, donne à l'ensemble une allure sobre et élégante.
Les
tons
pastel
des
tuiles
et
des
briques
tranchent
habilement
sur
le
granit.
Et
lorsque
le
soleil,
dans
un
ciel
bleu
de
mer,
éclaire
sa
façade,
le
Puy
du Fou rayonne de pureté.
L'éblouissement gagne le visiteur : délicatesse et raffinement.
Les
blocs
de
granit
s'écartent
sous
la
pression
des
racines
sauvages
et
des paquets d'herbes folles.
Sur
les
caissons
Renaissance,
une
pellicule
verte,
algue
ou
champignon, retient une humidité sournoise qui pénètre la pierre.
La grande cour intérieure donne des allures de grosse ferme.
Au sol, des lapins s'agitent dans leurs clapiers.
Plus
haut,
sur
des
meneaux
brisés,
perchent
des
coqs,
surveillant
leur
harem.
Dans
les
airs,
tournoient
des
nuées
de
corbeaux
dont
les
nids
se
détachent sur un ciel indifférent gorgé de nuages froids.
L'usure
du
temps
et
l'incurie
des
hommes
ont
eu
raison,
en
un
siècle,
de
sa
partie
centrale
très
certainement
copiée
sur
le
péri
de
Lebreton
à Fontainebleau.
La
nuit,
une
chouette-effraie
crie
et
redonne
vie
à
cette
énigme
de
blocs effondrés, de corniches rousses de mousses.
Cette chouette est un lien.
Se
souvient-elle
et
imite-t-elle
le
cri
des
hommes
qui,
dans
ce
pays,
ressemble au sien ?
Ces
hommes
qui
ont
défendu
leur
château
contre
les
colonnes
infernales de Turreau.
1794,
l'année
de
sang,
qui
crucifia
ce
pays
de
son
épée
de
feu,
lui
enlevant
une
âme
sur
deux,
anéantissant
tous
ses
villages,
incendiant
ses bois et ses champs.
Le
souvenir
des
reflets
de
fer
et
de
feu
des
guerres
de
Religion
s'était
estompé,
depuis
si
longtemps,
lorsque
la
plus
injuste
des
répressions
s'abattit
sur
ce
peuple
de
paysans
et
d'artisans,
au
nom
de
la
liberté,
de l'égalité et de la fraternité.
Devenu
inutile,
restreint
à
un
rôle
de
symbole
déformé
dans
l'esprit
des
volontaires
parisiens,
le
château
ne
pouvait
être
qu'une
cible
facile et sans grand danger pour les incendiaires.
Puis,
destin
commun
aux
chefs-d'œuvre
en
péril,
il
offrit
ses
cicatrices
aux
villageois
ayant
leur
foyer
à
construire
ou
à
reconstruire.
Triste
dépeçage
justifié
par
les
nécessités
d'un
pays
exsangue
aux
survivants hagards.
Mais
les
Vendéens,
peuple
secret,
peuple
généreux
et
méfiant,
se
renfermeront
derrière
une
pudeur
qui
en
fait
des
géants
et
ne
parleront plus de ce qu'ils n'oublieront jamais.
Pendant
un
siècle
et
demi,
les
murs
du
Puy
du
Fou
braveront
un
destin scellé d'avance.
Lente
érosion
des
souvenirs
et
des
pierres,
jusqu'au
jour
où
en
1978,
une
nouvelle
aventure
attend
le
château
dont
le
nom
secret
provoque
à lui seul l'enchantement.
Un
jour,
l'École
Nationale
d'Administration
(l'ENA,
comme
on
dit)
allait
accueillir
un
jeune
et
brillant
lauréat
qui,
pour
l'instant,
planchait sur ses manuels.
Etudiant
aux
champs
avant
de
devenir
sous-préfet,
allongé
sur
l'herbe,
face
au
château
enflammé
par
les
chauds
rayons
de
soleil
d'une fin d'été.
Manuels
dans
la
main
gauche,
mais
bloc
de
papier
dans
la
droite,
sur
lequel
une
fine
écriture
dessinait
une
mise
en
forme
de
l'histoire
à
la
dimension des hommes et des femmes du pays du Puy du Fou.
Au
printemps
1977,
le
département
de
la
Vendée
vient
d'acheter
ces
ruines.
Alors,
commence
l'itinéraire
d'abord
solitaire
de
ce
fils
du
pays
qui
allait
déclencher
une
réaction
en
chaîne
engendrant
une
série
d'opérations
collectives
à
vocation
culturelle,
inspirée
par
une
pensée
claire, et aussitôt prise en main par les populations du Haut-Bocage.
La
plus
importante
est
la
renaissance
du
rôle
social
du
château
en
pays rural.
Puisque
tout
commence
par
la
soif
culturelle,
les
ruines
du
château
allaient,
en
quelques
mois,
devenir
une
fourmilière
et
l'amorce
du
plus grand centre culturel de la région.
Une
multitude
d'actions
et
de
créations
allait
éclore
spontanément
du
savoir
faire
des
acteurs
du
"Spectacle
du
Puy
du
Fou",
car
le
creuset
est
né
dans
les
textes
et
les
images
de
ce
fils
du
pays,
Philippe
de
Villiers,
et
grâce
à
l'Association
pour
la
mise
en
valeur
du
château
et
du pays du Puy du Fou.
Les
répétitions
de
1978
prouvent
immédiatement
qu'un
nouveau
mode
d'expression
est
né,
qui
s'appellera
"Cinéscénie",
cinéma
vivant
de
plein
air,
en
direct,
par
des
acteurs
qui
se
souviennent
et
refont
les
gestes de leurs anciens.
Fêtes
et
labeurs
autour
des
quintaines
du
Moyen
Age,
danses
et
travaux
des
champs
le
long
du
passage
légendaire
de
François
Ier
au
château,
saines
colères
pour
la
liberté
de
croire
et
de
penser,
modernismes et guerres mondiales.
Fil
conducteur,
témoin
immuable
de
tous
les
temps
:
le
paysan
vendéen, Jacques Maupillier.
Un
symbole
parmi
des
millions
d'ancêtres,
hier
la
faux
à
la
main
et
aujourd'hui
manipulant
des
amplificateurs,
des
lasers,
des
jets
d'eau
ou de géantes brioches.
Ce
pays
caché
a
retenu
son
souffle
car
au
départ,
les
notables
craignent l'échec.
Mais
les
Vendéens
ont
compris
l'importance
du
spectacle
et
se
sont
reconnus.
C'est encore leur victoire.
Le
miracle
de
leur
château
va
leur
donner
de
nouvelles
raisons
de
vivre
et
de
se
dépasser,
subjugués
par
un
phénomène
que
l'on
croyait
périmé, le bénévolat absolu.
La Vendée n'était plus un pays perdu, oublié, méprisé.
La
caricature
que
l'on
avait
voulu
donner
de
ce
pays
de
bocage,
de
marais,
de
landes
et
de
plaines,
pendant
des
décennies,
vola
en
éclats
en un soir.
Le bâtiment en lui-même n'est pas le sujet du spectacle.
Château
vivant,
propriété
sentimentale
d'un
pays,
il
est
un
catalyseur
entre le cœur des Vendéens et l'âme de leur terre.
Le
produit
en
est
un
phénomène
social
unique,
dépassant
la
beauté
et
la
charge
émotionnelle
d'une
prestation
qui
est
pourtant
une
réussite
d'originalité avoisinant la perfection.
Les Puyfolais veillent sur lui, le château de tout un peuple.
En
foulant
la
terre
de
sa
cour,
chacun
s'y
sent
à
la
fois
le
propriétaire
et le serviteur.
Pourquoi le Puy du Fou ?
On
songe
à
quelque
lieu
étrange
enrobé
d'un
puissant
mystère,
dont
l'origine
nous
plongerait
au
cœur
d'une
histoire
lointaine
et
tourmentée.
Le détour toponymique nous aide à en comprendre le sens exact.
Les
"Puy"
sont
nombreux
en
France
et
signifient
toujours
une
élévation, depuis la montagne altière jusqu' à la paisible butte.
Promontoire
qui
dissimule
les
vallées,
son
origine
latine
révèle
un
podium.
Le
substantif
qui
le
caractérise,
facile
à
traduire
désigne
un
arbre,
plus précisément un hêtre.
Un
demi-siècle
avant
Jésus-Christ,
lors
de
l'occupation
romaine,
cette colline devait être boisée.
Plusieurs hêtres dominaient alors le paysage.
L'histoire est assez imprécise et le lieu garde encore tout son mystère.
Il
faut
bien
dire
que
le
Château
du
Puy
du
Fou
était
alors
le
siège
de
légendes et d'anecdotes peu flatteuses.
Mais le château de Puy du Fou est le présent lié au passé.
Le
château,
dont
les
grandes
lignes
Renaissance
se
sont
brisées
dans
des
volutes
de
charpentes
en
feu,
était
la
plus
perdue
des
ruines,
au
fond d'un des terroirs les plus secrets.
Le Bocage vendéen est l'équilibre même de la nature.
Son
relief
est
à
l'image
des
cartes
de
Noël
émaillées
de
paillettes
de
notre
enfance,
avec
des
petits
chemins
qui
se
perdent
derrière
des
collines basses.
Mais
ses
floraisons
ont
la
violence
d'un
sacre
et
les
versants
se
couvrent de bleu, de mauve ou de jaune.
Les Vendéens sont de cette sorte.
Ce
peuple
qui
regarde
le
monde
à
travers
des
rideaux
de
lin
fermés
est capable de réveils et de colères cosmiques.
Ces
gens
n'aiment
pas
que
d'autres
pensent
à
leur
place
et
leur
dictent leur bonheur.
Leur silence est observation, ou désapprobation.
Leur
fureur
est
générosité.
Une
expérience
comme
celle
du
Puy
du
Fou
peut
se
faire
partout,
mais
la
dimension
du
phénomène
social
est
ici exceptionnelle.
Ici,
une
population
a
décidé
qu'une
ruine
serait
à
la
fois
église,
école,
terrain de spectacle, centre de méditation, stade.
Aspiration
collective,
fraternelle,
inspirée
par
un
chef
naturel
et
le
contraire d'un embrigadement de masse ou de loisirs programmés.
Du
Marais
à
la
Loire,
de
la
Plaine
au
Pays
de
Retz,
le
terrain
semblait
vierge.
Mais
lorsque
la
baguette
du
magicien
commença
à
jouer,
les
silhouettes
sortirent
de
partout,
étonnées
d'être
si
nombreuses,
si
jeunes et enthousiastes, si désintéressées.
Ils
se
déclarèrent
chez
eux,
dans
ce
château
pathétique,
dont
aucun
motif
ne
reflète
la
prétention,
mais
dont
chaque
pan
de
mur
a
un
air
de dignité innée.
Fierté de vivre et de mourir debout, mais en toute simplicité....
Un château sans histoire.
Il
n'est
pas
de
ces
grands
navires
qui
ont
marqué
les
itinéraires
de
l'histoire.
Il
reflète
la
vie
d'un
pays,
d'une
petite
noblesse
très
attachée
et
liée
à
ses paysans.