La
fabrication
du
pain
(symbole
de
vie
et
de
travail)
était
chez
nous
l'objet
d'une
activité
importante
de la ferme.
Mon grand-père avait toujours transmis à mon oncle la mission de fabriquer notre pain quotidien.
Il s'acquittait de la planification avec un art reconnu de tous.
Mon oncle enfournait environ toutes les deux semaines.
Je connais bien ses habitudes, aussi quand j'étais gamin, je l'accompagnais souvent dans le fournil.
Celui-ci était attenant à la maison.
En
entrant
dans
ce
local
assombri,
par
les
murs
enfumés,
on
devinait
au
fond
le
four
de
briques
noires.
A
droite,
un
énorme
chaudron
près
de
la
cheminée,
des
pelles
en
bois
le
long
du
mur,
des
fourches
et
des raclettes pour nettoyer le four.
Au
milieu
quelques
fagots
de
"fournilles"
(fagot
de
bois)
éventrés
séchaient
négligemment
sur
la
terre
battue.
Pour
que
le
pain
se
conservât
plus
longtemps,
mon
oncle
préparait
le
levain
la
veille
après une journée de travail.
De bonne heure, le lendemain, il venait pétrir la pâte dans la maie.
Tâche difficile et pénible qui durait plus d'une heure.
En
hiver,
après
le
pétrissage,
la
pâte
était
glissée
avec
soin
sous
l'édredon
et
les
couvertures
d'un
lit
pour qu'elle lève plus vite.
En été, la pâte était étendue entre des arceaux sur les claies suspendues au plafond du fournil.
Pendant ce temps le four était chauffé à blanc avec la "fournilles".
Qu'il sentait bon ce pain de campagne à peine sorti du four !
Qu'il était bon ce pain de ménage cuit au bois, préparé avec la belle farine de blé de notre récolte !
Je
garde
encore
le
souvenir
de
ces
galettes
de
fruits
de
saisons,
principalement
de
mirabelles,
que
ma
grand-mère faisait cuire après le pain dans le four encore chaud.
Et
que
dire
des
prunes
de
la
Saint-Michel
et
des
poires
"mêlées"
(poire
cuite
en
séchant
au
four)
qu'elle nous offrait parfois pour exciter notre gourmandise ?
Je
me
souviens
aussi
des
délicieuses
brioches
à
l'ancienne
que
ma
tante
préparait
seule
dans
le
fournil.
De mon temps, la brioche, c'était à Pâques !
La nuit, elle se levait pour repétrir, avec amour, la tresser et lui donner sa forme définitive.
Il
y
en
avait
des
longues
et
des
rondes
reposant
jusqu'au
petit
matin
dans
les
"guenottes"
(Corbeille
de paille tressée).
On
chauffait
le
four
doucement
dans
lequel
on
hissait
religieusement
des
brioches
à
l'aide
d'une
"raballe" (large pelle en bois à long manche) sans les déformer.
Qu'elles étaient savoureuses les gâches et les galettes "pacaudes" de ma tante !
Elle seules gardait le secret de sa recette.
Elle m'en confectionnait toujours une petite que je dégustais toute chaude sortant du four.
On gardait les plus belles pour inviter les voisins.
Le lundi de Pâques, on faisait la tournée, comme pour les "tourtisseaux" à mardi-gras.
Partout, elle était excellente, mais disons que j'avais un faible pour la nôtre.
La brioche réapparaissait également aux fêtes de famille, principalement aux mariages.
Sur un air d'accordéon, on y dansait la brioche.
Cela donnait l'occasion aux meilleurs et aux athlétiques danseurs de s'affirmer.
Tout
à
tout,
chacun
devait
exécuter
des
pas
de
danse
en
supportant
à
bout
de
bras
une
civière
sur
laquelle était placée une brioche gigantesque.
Tous les regards des convives suivaient la grâce et la résistance du danseur.
C'était une brioche de trente à cinquante livres offerte par la marraine et le parrain des mariés.
Après
la
danse,
le
gâteau
était
découpé
et
les
invités
repartaient
avec
un
morceau
de
briche
soigneusement enveloppé dans du "papier de soie".
La brioche, le pain blanc de nos campagnes s'en sont-ils allés avec le temps ?
La brioche vendéenne a acquis une réputation qui dépasse les limites du département.
Aujourd'hui,
sur
les
bonnes
tables
ne
retrouve
t'on
pas
encore
le
pain
complet
ou
le
pain
de
campagne ? Qu'importe sa forme !
Qu'il soit rond ou en couronne, il demeure toujours la nourriture essentielle du riche et du pauvre.
Chez
nous,
si
le
vieux
"Cherche-pain"
trouve
asile,
il
savait
qu'il
pourrait
en
même
temps
partager
notre pain.
Jacques Maupillier (Garde)