Dans
la
Rome
antique,
le
système
de
dénomination
était
profondément
genré
et
reflétait
la
structure patriarcale de la société.
Les
hommes
romains
de
statut
libre
bénéficiaient
d'un
système
d'identification
tripartite,
comprenant
le
praenomen
(prénom
individuel),
le
nomen
(nom
de
la
gens
ou
clan
familial)
et
le
cognomen (nom de famille ou surnom distinctif).
Le
praenomen
(prénom)
était
un
élément
essentiel
de
l'identité
masculine
romaine,
mais
présentait une particularité notable :
Les
Romains
n'utilisaient
qu'un
nombre
très
limité
de
prénoms
-
environ
18
prénoms
courants
pour l'ensemble de la population masculine.
Le
prénom
était
choisi
lors
de
la
cérémonie
du
dies
lustricus
(jour
de
purification),
neuf
jours
après
la naissance pour les garçons. Ce choix suivait souvent des traditions familiales strictes.
Les prénoms les plus courants : Marcus (M.), Gaius (C.), Lucius (L.), Publius (P.), Quintus (Q.)
En revanche, les femmes romaines ne possédaient généralement pas de praenomen officiel.
Elles étaient principalement identifiées par la version féminisée du nomen paternel.
Ainsi,
la
fille
du
célèbre
orateur
Marcus
Tullius
Cicero
était
simplement
connue
sous
le
nom
de
Tullia,
sans
prénom
personnel
distinctif
qui
aurait
marqué
son
individualité.
Cette
pratique
d'identification
féminine
par
le
seul
nom
de
famille
paternel
souligne
la
conception
romaine
de
la
femme
comme
appartenant
d'abord
à
sa
famille d'origine, puis à celle de son époux.
L'identité féminine était ainsi essentiellement définie par ses relations familiales plutôt que comme une entité individuelle à part entière.
L'absence de praenomen féminin et ses exceptions
Les
recherches
historiques
suggèrent
que
durant
les
premiers
temps
de
la
République
romaine,
certaines femmes pouvaient effectivement porter un praenomen personnel.
Cependant,
cette
pratique
s'est
progressivement
raréfiée
jusqu'à
disparaître
presque
complètement à la fin de la République et durant l'Empire.
Dans
la
réalité
quotidienne,
les
familles
romaines
devaient
néanmoins
distinguer
leurs
filles
les
unes des autres.
Pour ce faire, plusieurs stratégies étaient employées :
Surnoms numériques
: Prima, Secunda, Tertia (première, deuxième, troisième fille)
Qualificatifs d'âge
: Major (l'aînée), Minor (la cadette)
Diminutifs affectueux
: Noms d'usage familiaux non officiels
"Cette
absence
de
prénom
individuel
a
longtemps
intrigué
les
historiens,
car
elle
efface
en
partie
l'identité
personnelle
des
femmes
dans
les
sources
écrites,
contribuant à leur invisibilité relative dans les récits historiques."
Cette
particularité
onomastique
n'est
pas
anodine
:
elle
reflète
une
conception
de
l'identité
féminine
comme
étant
avant
tout
relationnelle
et
familiale,
plutôt
qu'individuelle et civique comme celle des hommes romains.
L'absence de praenomen personnel pour les femmes s'inscrit dans un système social où leur rôle principal était défini par leurs relations familiales.
L'émergence du cognomen féminin : vers une identité individuelle
À
partir
de
la
fin
de
la
République
et
surtout
sous
l'Empire,
une
évolution
significative
se
produit
dans la nomenclature féminine romaine.
Le
cognomen,
initialement
troisième
élément
du
nom
masculin,
commence
à
être
utilisé
également
pour les femmes.
Ce
phénomène
marque
une
étape
importante
vers
la
reconnaissance
d'une
identité
féminine
plus
individuelle et publique.
Une
étude
récente
menée
par
Tuomo
Nuorluoto
(2021)
démontre
que
cette
transformation
s'est
opérée
sur
une
période
d'environ
400
ans,
avec
des
variations
importantes
selon
les
régions
de
l'Empire, les classes sociales et les traditions familiales.
Cette
évolution
témoigne
d'une
reconnaissance
accrue
de
l'individualité
féminine,
même
si
elle
reste encadrée par les normes patriarcales.
Exemples célèbres de cognomina féminins
•
Agrippina (mère de Néron)
: Le cognomen souligne son lien avec son père Agrippa.
•
Livia Drusilla (épouse d'Auguste)
: Double identification.
•
Julia Domna (impératrice d'origine syrienne)
: Cognomen marquant son origine.
L'apparition
et
la
diffusion
du
cognomen
féminin
représentent
une
forme
d'affirmation
identitaire,
particulièrement
pour
les
femmes
des
élites
qui
jouaient
parfois un rôle politique ou social important.
Ce
phénomène
s'inscrit
dans
une
tension
permanente
entre
le
maintien
des
traditions
patriarcales
et
l'émergence
d'espaces
d'autonomie
féminine
dans
la
société romaine.
Raisons sociales et juridiques
L'absence de prénom pour les femmes romaines reflète directement leur statut juridique et social :
1.
Statut
juridique
limité
:
Les
femmes
romaines
étaient
juridiquement
sous
la
tutelle
d'un
homme
toute
leur
vie
(patria
potestas
du
père,
puis
manus
du
mari).
2.
Absence
de
vie
publique
officielle
:
Sans
droit
de
vote
ni
accès
aux
magistratures,
les
femmes
n'avaient
pas
besoin
d'identification
individuelle
pour
la
vie
civique.
3.
Identité
familiale
prédominante
:
L'identité
d'une
femme
romaine
était
principalement
définie
par
son
appartenance
à
une
famille,
d'abord
celle
de
son
père, puis celle de son mari.
"Une Romaine n'était donc jamais considérée comme une personne à part entière, mais comme la fille de son père ou l'épouse de son mari".
Conclusion : un prénom féminin romain, entre tradition familiale et individualité naissante
Pour
répondre
à
la
question
initiale
:
non,
les
femmes
dans
l'Empire
romain
ne
possédaient
généralement
pas
de
prénom
individuel
au
sens
moderne
ou
au
sens
du
praenomen
masculin
romain.
Leur
identification
principale
restait
le
nom
de
leur
gens
féminisés,
complété
progressivement
par
d'autres éléments distinctifs.
Toutefois,
l'apparition
et
la
diffusion
du
cognomen
féminin
témoignent
d'une
évolution
vers
une
reconnaissance plus personnelle et sociale de l'identité des femmes romaines.
Cette
dynamique
révèle
la
tension
constante
entre
la
préservation
des
structures
patriarcales
et
l'émergence d'espaces d'affirmation individuelle féminine.
Reflet des rapports de genre
La
nomenclature
féminine
romaine
illustre
la
place
subordonnée
des
femmes
dans
une
société
où
l'identité
collective
prime
souvent
sur
l'individualité
féminine.
Évolution progressive
L'apparition du cognomen féminin marque une reconnaissance croissante de l'individualité des femmes, particulièrement dans les classes supérieures.
Comprendre
cette
dynamique
onomastique
éclaire
non
seulement
les
pratiques
de
dénomination,
mais
aussi
plus
largement
la
condition
féminine
dans
l'Antiquité romaine.
Cette
tension
entre
effacement
et
affirmation
identitaire
résonne
encore
dans
nos
questionnements
contemporains
sur
la
reconnaissance
des
femmes
dans
l'histoire et les structures sociales.
La manière de nommer est toujours révélatrice de la manière de concevoir la place de chacun dans la société.