J'avais à peine dix ans.
Comme la plupart des enfants de mon âge j'allais garder les vaches aux champs.
Chez
nous,
autrefois,
c'était
toujours
à
partir
du
printemps,
aussitôt
la
traite
du
matin,
que
l'on
menait paître les vaches.
Je
me
souviens,
j'avalais
rapidement
une
soupe
et
mon
panier
sous
mon
bras,
le
bâton
à
la
main,
je
conduisais
le
troupeau
dans
le
pré
de
la
vallée
ou
parfois
dans
la
grande
prairie
proche
de
la
ferme
nommée "la Pré".
Près de moi, mon chien Médor me suivait fidèlement et m'assurait protection.
Avec
mes
petites
jambes,
je
n'arrivais
pas
à
régler
ma
marche
sur
celle
du
troupeau
déambulant
à
une cadence rapide dans le chemin encaissé qui conduisait à la pâture.
La fraîcheur du matin ravivait mon esprit. La campagne était belle.
J'admirais, dans les buissons, les premières églantines embuées de rosée.
Les oiseaux, débordant de vie, piaillaient autour de leurs nids.
Mon
troupeau
connaissait
le
chemin
et
se
dirigeait
seul
vers
l'entrée
du
pré
dont
la
barrière
était
ouverte.
C'est
non
loin
de
là
que
je
m'installais
sur
deux
grosses
pierres,
lieu
privilégié
pour
mon
repas
de
midi.
Je connaissais toutes les vaches par leur nom.
Roussette était ma préférée.
Tout le jour, elle restait en ma compagnie et ne cherchait pas à s'éloigner.
Si une vache essayait de franchir la haie, Médor intervenait aussitôt.
Les journées me paraissaient longues.
J'apercevais
quelquefois
Germaine,
notre
voisine,
qui
suivait
les
cinq
ou
six
vaches
de
sa
borderie,
dans la "chintre" du champ d'à côté.
Elle venait me parler par-dessus le buisson.
Je m'occupais avec des riens.
Je confectionnais des petites chaises, des paniers et des corbeilles avec des joncs.
Je
tailladais
dans
des
branches
avec
mon
couteau
pour
fabriquer
des
sifflets,
des
bœufs,
des
petites
charrettes.
Dans le ruisseau qui traversait la prairie, je pêchais des vairons.
Je
n'avais
qu'une
ligne
très
rudimentaire
composée
d'une
baguette,
d'un
fil
et
d'une
épingle
retournée où j'accrochais une sauterelle.
J'attrapais aussi des sangsues que j'allais vendre un bon prix !
Le contact avec les animaux et cette vie en pleine nature me convenaient.
Je savais que mes petits frères et mes cousins viendraient me rejoindre.
Nos
imaginations
permettraient
alors
d'envisager
toutes
sortes
d'amusement
pendant
ces
moments
de liberté.
Nous grimpions aux arbres.
Avec les grandes branches, nous réalisions des balançoires.
Nous jouions à saute-mouton ou à cache-cache parmi les vaches indifférentes à nos jeux d'enfants.
Les grandes filles tricotaient.
Quand ma tante venait me remplacer elle ne perdait jamais de temps.
Souvent
elle
commençait
des
dentelles
au
crochet
ou
bien
elle
reprisait
des
chausses
et
des
bas
troués.
Elle emportait aussi la quenouille (emblème de la bergère) pour filer le lin.
Les bêtes rentraient à la ferme le soir quand le maître nous appelait avec sa corne.
Quand
j'avais
dix
ans,
j'accompagnais
également
les
valets
aux
labours,
à
la
fenaison,
à
la
moisson,
aux vendanges.
J'allais passer la bineuse dans les choux.
Mais c'était surtout avec mon grand-père que je travaillais le plus souvent.
Je me rappelle le soir qu'il a remisé pour la dernière fois ses outils dans la grange.
Il les a regardés longuement et il est sorti.
Je l'ai vu contempler avec mélancolie "ses terres" sur lesquelles il s'était acharné toute une vie.
Maintenant ses jambes ne pouvaient plus le porter.
Ce soir-là, il alla reprendre sa place à la table parmi les siens, mais il était triste, il ne parlait pas.
Depuis ce jour, il me voulait toujours avec lui.
Il m'apprenait à nettoyer les oignons et les ails.
Je faisais des petits travaux du jardin.
J'écossais les petits pois et les haricots de semence.
Je battais le "mogette" et il fallait ramasser à genoux les grains éparpillés.
Quand j'avais dix ans, j'aimais me rendre utile.
Je commençais à connaître déjà le dur labeur du paysan.
La sueur perlait sur mon front juvénile.
Je faisais la joie de mon grand-père qui voyait grandir en moi une nouvelle génération.
"D'hommes
de
grand
matin,
durs
au
mal,
d'hommes
du
soir
à
la
lourde
démarche
des
gros
sabots
de
bois et d'hommes de granit tassé avant l’âge qui prennes les saisons comme elles viennent.
Jacques Maupillier (Garde)