Catherine ouvre les yeux...
La nuit est encore profonde...
Seule la lune indiscrète éclaire la chambre.
Catherine soupire, heureuse...
Tout le château dort...
Personne ne viendra troubler le fil de ses pensées.
Ils
ne
savent
pas
tous
ceux
qui
l'entourent
de
tant
de
sollicitude,
comme
son
cœur se réchauffe au soleil des souvenirs.
Ressentir
les
joies
et
les
peines
des
jours
passés,
c'est
sa
façon
à
elle
de
retenir
la vie, maintenant que le froid de la mort s'empare de son corps.
Alors, vite, vite... il faut qu'elle profite de ces heures qu'elle vole au sommeil... !.
La
lune,
éclatante
dans
le
ciel
d'été,
attire
son
regard...
La
lune...
Diane...
la
belle Diane de Poitiers qui l'avait éblouie à Fontainebleau.
Fontainebleau...
Le Roi François... un tournant de sa vie.
L' "esprit italien" avait soufflé sur elle...
La
beauté,
la
grâce,
l'élégance
qui
régnaient
en
maîtresse
à
la
Cour,
lui
étaient
devenues indispensables... !
Elle se souvenait de son voyage de retour...
Sans
cesse,
ses
yeux
revenaient
vers
l'esquisse
tracée
par
un
élève
du
Primatice
sur
les
instructions
de
son
maître...
et
c'était
le
Roi
François,
en
personne,
qui
avait
invité
son
architecte
favori
à
élaborer
un
plan
de
transformation
pour
le
château du Puy du Fou...
Déjà,
elle
voyait
les
larges
fenêtres
à
meneaux
avec
leurs
carreaux
jaunes
qui
laisseraient pénétrer la lumière du jour.
Elle
voyait
aussi
la
longue
galerie,
les
loggias
encadrées
de
fines
sculptures
qui
ouvriraient son triste château à la clarté du soleil.
Elle
imaginait
les
tapis
qu'elle
ferait
tisser
à
ses
femmes
et
qui
remplaceraient
la
jonchée,
ces
herbes
et
ces
branchages
qu'il
fallait
étendre
sur
les
dalles
pour
en adoucir le froid humide.
Et
même,
elle
prendrait
près
d'elle,
Jehanne,
la
fille
du
meunier
qu'on
disait
si
adroite aux travaux d'aiguille.
La
jeune
fille
saurait
créer
de
belles
tapisseries
qui
rendraient
les
vastes
salles
plus accueillantes. ...
Lentement, la nuit cède la place à l'aube rougissante...
Un coq chante...
Un
cri
d'enfant
trouble
le
silence...
son
petit-fils
Gilbert,
sans
doute...
Jadis,
elle
se levait au petit matin...
Tant de tâches lui incombaient...
François
préférait
la
chasse...
et
il
lui
fallait
veiller
à
la
bonne
marche
du
domaine.
Après
qu'elle
se
fût
recueillie
dans
son
oratoire,
Catherine
commençait
toujours sa journée par le long défilé des officiers venant aux ordres.
Elle
recevait
le
sénéchal
qui
lui
rapportait
les
menus
incidents
des
fermes
et
des métairies.
Puis
venait
le
chambrier
qui
distribuait
l'ouvrage
aux
gens
du
château
et
tenait
les comptes.
Il
y
avait
aussi
le
maître-queux,
souverain
des
cuisines
et
le
bouteiller,
gardien
jaloux de la cave.
Ainsi,
la
matinée
se
déroulait
et
l'heure
du
repas
cornait
sans
que
Catherine
ait
vu le temps passer...
Elle rejoignait la salle à manger.
Les servantes avaient dressé les tables et amené le couvert.
Des pièces de venaison recouvertes de serviettes chaudes.
La
famille,
les
compagnons
de
François,
les
voyageurs
de
passage
se
retrouvaient là...
On mangeait, on buvait...
Les hommes racontaient leurs exploits de chasse...
Les dames écoutaient, s'extasiaient...
Catherine
se
rappelait
la
surprise
et
l'étonnement
de
tous
lorsqu'elle
avait
ramené
de
Fontainebleau,
des
assiettes
en
étain
et
en
céramique
pour
remplacer
les
tranchoirs,
ces
épaisses
tranches
de
pain
sur
lesquelles
on
servait
les viandes.
Elle
avait
ramené
aussi,
des
fourchettes,
petites
piques
à
deux
dents
qui
évitaient de puiser dans les plats avec ses doigts...
Toutes
ces
nouveautés
venaient
d'Italie...
la
dauphine
Catherine
de
Médicis
les
avait apportées dans ses bagages...
Sans
compter
cet
étrange
petit
légume
venu
d'Amérique,
le
fayot,
qui
s'était
si
bien
acclimaté
dans
les
potagers
des
paysans
et
qui
avait
évité
la
famine,
une
année où le blé avait manqué... !
Après
le
repas,
elle
reprenait
ses
activités
:
s'occuper
des
enfants,
visiter
les
pauvres, soigner les malades.
Jamais,
elle
n'avait
connu
l'ennui,
elle
avait
vécu
de
tout
son
être
les
moindres
minutes de sa vie.
Elle avait essayé de répandre le bonheur autour d'elle.
Avait-elle réussi ?
Le soleil est haut dans le ciel...
La porte grince légèrement...
Des pas feutrés...
Un regard vers le lit... "Madame dort-elle ?"... "Madame... ?"...
Un cri étouffé...
Oui, Madame dort... pour toujours...
Elle s'en est allée rejoindre ses souvenirs.